À la Une

Sin City – the Hard Goodbye

goodbye-feat-750x380Frank Miller

Sin City commence bien : un homme, Marv, une femme, Goldie, une biture, une scène d’amour, c’est beau la vie. Mauvaise conclusion pour une nuit qui s’annonçait tranquille : un meurtre. Marv tombe dans un guet apens et manque de se prendre dans les filets des flics. Tombé, il l’est pour sa Goldie assassinée et crie vengeance. Marv blessé, se rend chez sa pote Lucille pour se rafistoler et prendre quelques cachetons. Pourchassé, il devient prédateur, interrogeant, torturant, puis tuant sans pitié, y compris un prêtre dans son confessionnal. Un nom est lâché : Roark, mais Marv n’y croit pas, c’est trop haut. Il a le goût du sang. Hallu ou pas, il revoit sa Goldie, mais non, ça ne peut pas être elle qui lui tire dessus ! Non, il a juste oublié ses médocs, quel couillon. Sa piste le conduit dans des bois en pleine nuit. Il aime pas ça Marv, mauvais pressentiment, il se fait piégé par plus malin. Mais la mauvaise herbe, ça meurt pas comme ça. Il se retrouve enfermé avec Lucille dans une sorte de cuisine éblouissante. Leur geôlier, Kevin, décapite les femmes puis les bouffe après cuisson. En force, Marv et Lucille s’échappent mais se font rattraper. Encore des flics, et dans cette course, c’est Lucille qui meurt, et Marv qui bute tout ce beau monde, prenant quelques infos au passage, et ce nom revient : Roark. Le Clergé est éclaboussé, Roark en fait partie, sa fin devra être tout aussi horrible que celle de Kevin, dévoré, lui, par son chien.

Marv est un psychopathe, du genre balèze, avec un code d’honneur. Il met les boules sur la table, donc pour en parler, je vais mettre les miennes. Marrant de présenter cette version omnibus en mimant, sans l’égaler, Frank Miller. L’écriture, les dialogues, sublimes, font penser à Bukowski, Fante, ou aux Raisins de la Colère de Steinbeck, en plus trash. Roman graphique n&b hallucinant, Sin City ne laisse aucun répit au lecteur. Personne n’est épargné : ni la justice, ni l’Église, ni les politiciens. Que dire des graphismes ? Ils datent de 1991 et n’ont pas pris une ride. Chaque planche est une œuvre, composée de main de maître, allant à l’essentiel. Le trait est aussi tranchant que le propos. Pas une seule demi teinte, c’est blanc ou noir, et d’ailleurs, plutôt noir, avec Chandler comme inspiration.

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Pour moi, 1er tome parfait de bout en bout, qui me donne envie d’écrire que c’est juste génial. Tout est excellent : scénario, dialogues trop marrants, graphismes psychés, j’ai adoré et dévoré les pages magnifiquement illustrées. Le ton est libre, délirant et halluciné, dans futur cyberpunk très sombre. Spider, ancien ermite genre Zarathoustra, est grave exalté, carbure un peu trop aux starters pour rester éveillé et s’attaque avec son pouvoir de journaleux à tout se qui le révolte. J’espère juste que la série ne s’essoufflera pas.

Je le savais et j’ai quand même craqué pour lui.

C’est comme gratter une croûte un peu… tu sais qu’il faut pas et qu’il y aura une cicatrice, mais c’est tellement bon.

Lazarus

Greg Rucka, (scénario), Michael Lark, (illustrations)

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Ça se passe dans un futur dystopique, poussé à l’extrême dans sa noirceur, sa violence et son pessimisme. Quelques familles rivales et omnipotentes se partagent le gâteau. Il existe une hiérarchie, les membres de ces familles, et en-dessous, les serfs et les déchets. L’être Humain n’est rien d’autre qu’un terrain d’expérimentations sur les manipulations génétiques. Pour se défendre, on utilise son armée, mais surtout, son Lazarus, sorte de guerrier unique hyper puissant, quasi invincible, dopé à mort. La loi, c’est l’argent, mais quelle différence avec notre société actuelle ? Si, quand même, la loi, ce sont ces sortes de grands parrains qui la font la loi, sans pitié, chacun sur son territoire. Tout est prétexte aux conflits, avec l’arsenal habituel de trahisons, de fourberies, d’empoisonnement, etc. Ce comics, c’est un peu le règne du crime organisé. L’héroïne s’appelle Forever, Lazarus formée depuis la plus tendre enfance à tuer, mais surtout, à obéir au patriarche, homme de poigne, totalement machiavélique.

Voilà pour l’ambiance, maintenant ce que j’en pense : côté scénario, j’ai trouvé ça excellent, même si ce n’est pas d’une originalité folle. Des histoires sur la manipulation, qu’elle soit physique ou psychologique, on en a déjà lu. Pourtant, c’est palpitant, je n’ai pas décroché sur les cinq premiers tomes. Il y a beaucoup de rebondissements, très peu de temps morts, pas de longueurs, et j’ai trouvé les personnages attachants, avec chacun une personnalité intéressante, surtout sur Forever et ses doutes quant à l’amour que pourrait lui porter sa famille, mais surtout le paternel. L’écriture de Greg Rucka est fluide, et j’ajouterai qu’aux niveau graphismes, rien à redire sinon qu’ils sont très beaux. Je recommande donc, à fond.

 

Jupiter’s legacy

Mark Millar, (scénario), Franck Quitely, (illustrations)

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L’histoire débute pendant la grande dépression de 1929, avec deux frères qui acquièrent grâce à des extra-terrestres des super pouvoirs, et fait le pont avec la crise des années 2010. Suite à ces graves problèmes économiques, s’en suit une critique acerbe du modèle capitaliste. Un des vieux super-héros du nom d’Utopian, très connu et respecté, tente de donner un semblant d’éducation à ses deux grands enfants aux pouvoirs surhumains, sans vraiment y parvenir. Son fils Brandon accumule les gaffes et sa fille Chloé fait une overdose dont elle réchappe de justesse alors qu’elle est enceinte d’un narco-trafiquant, Hutch. Mais là où le bas blesse, c’est que le fils Brandon ne supporte plus d’être traité comme un enfant par ce père tyrannique à qui il tend un piège avec son oncle Walter, pour finalement l’exécuter lâchement. À qui profite vraiment le crime ? À l’oncle Walter totalement mégalomane et revanchard, ou à son neveu inexpérimenté qui ne rêve que d’exister ?

Arrivée à son terme, Chloé donne naissance à un enfant, Jason, qui hérite des pouvoirs de sa mère. Mais le renversement de pouvoir, devenu totalitaire, force la petite famille à fuir et à se cacher en Australie. L’histoire devient alors une chasse aux super-héros, devenus des hors-la-loi, un peu à la manière d’un Blade Runner.

La question que pose Jupiter’s Legacy serait de savoir ce que des hommes doués de capacités surnaturelles pourraient en faire. Garderaient-ils leur intégrité ou au contraire, deviendraient-ils des nuisances pour l’espèce humaine ? Mark Millar dénonce également dans son propos, tout ce qu’engendre la système capitaliste, de la violence à la corruption, en passant par les inégalités et l’injustice. Sa vision est très noire et d’un grand pessimisme. Il déclare également qu’il ne sert à rien de défendre des opprimés qui ont porté eux-mêmes au pouvoir, par leurs votes ou leurs coups d’états, cette racaille politicienne. Une dernière question, écrite par Millar lui-même : « Tu penses vraiment qu’on peut y arriver ? Faire du monde une utopie ? »

Libre à chacun de partager ces propos ou pas, mais Jupiter’s Legacy a le mérite d’affirmer la pensée politique de son auteur, ce qui n’est pas si fréquent. À part le scénario que j’ai personnellement beaucoup apprécié, j’ai également aimé les très belles illustrations de Franck Quitley. Excellent comics à mon avis.

Watchmen

Alan Moore, (scénario), Dave Gibbons, (illustrations)

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Watchmen est considéré par certains comme le plus grand des comics jamais écrit. Son auteur, Alan Moore, accompagné ici de Dave Gibbons aux dessins, est pour sa part considéré comme le plus grand des scénaristes anglais. Même mon libraire en est fan, c’est pour dire! Ces raisons m’ont poussé à emprunter ce gros pavé à la médiathèque de mon quartier.

Watchmen est sorti à la fin des années 80, donc bien sûr, à cette époque, pas d’Internet, et pas de téléphones portables ou autres tablettes. Depuis, il est vrai que notre monde a bien changé. La question est de savoir comment a vieilli cette BD, bien ou mal ? Graphiquement, en survolant les pages, on est à la ramasse. Ces planches qui manquent de détails en ont pris un sacré coup, sauf au niveau du lettrage, qui a inspiré le créateur de la police de caractères Comics Sans MS de Microsoft, pas moins. Depuis, les illustrations des BD ont beaucoup évolué, peut-être aussi avec l’aide des logiciel informatiques genre Illustrator ou Photoshop. Maintenant, il s’agit d’apprécier ou non le charme des anciens comics. Personnellement, ça ne me gêne pas, j’attache plus d’importance aux scénarios qu’à ces dessins old school. Se priver d’un comics à cause des graphismes, c’est un peu comme se priver d’un film parce qu’il est en noir et blanc. Le seul ouvrage que j’ai lu pour le moment et dans lequel Alan Moore apparaît est le 1er tome de Miracleman, et je n’ai vraiment pas aimé, j’avoue. Je me suis également plongé dans son gros volume Jérusalem, et pareil, je n’accroche pas, en tout cas, pas pour le moment.

Watchmen se passe au moment du début de la guerre en Afghanistan. Tout commence par une scène de crime, où deux enquêteurs blasés se retrouvent pour l’enquête. Un type bien balèze a été balancé par la fenêtre d’un gratte-ciel. Ils cherchent le mobile. Quelqu’un d’autre cherche à savoir qui a tué, et pourquoi. Il s’appelle Rorschach, comme le test psychologique du même nom. Il porte un masque tacheté, parle un peu comme un robot, et porte un imper style Inspecteur Gadget. Donc le comédien Eddie Blake est mort. Vient une histoire sur Hollis Mason, Sous le Masque, qui, comme un cheveu sur la soupe, raconte sous une forme romanesque autobiographique, une aventure de Moe Vernon, un cocu qui porte des faux seins, écoute du Wagner, et collectionne des objets érotiques. Celui-ci s’est fait plaqué par sa femme, et se suicide. Le narrateur nous raconte le comment du pourquoi lui a voulu devenir flic dans un 1er temps, et s’est costumé en hibou pour faire régner l’ordre, tel un « Juge Masqué ».

Une dame un peu âgée et sa fille parlent de l’enterrement du comédien, les souvenirs refont surface. Watchmen, c’est un peu ça, on passe du coq à l’âne, ce qui peut dérouter le lecteur. On apprend que ce salop d’Eddie Blake a violé cette bonne dame il y a 40 ans. Depuis, elle a pardonné. Il a aussi tué une femme enceinte jusqu’au cou, parce qu’elle lui avait griffé le visage dans une querelle. En fait, le comédien est, (était), une vraie ordure.

Après l’enterrement, retour sur l’enquête, avec Rorschach, qui interroge un type de façon musclée. Rorschach finit par tomber dans un piège et se fait arrêter par la police, puis incarcéré. On apprend son vrai nom alors, Walter Joseph Kovacks. Détesté autant par les flics que par la pègre, menacé de mort douloureuse en prison, son enfance fut un enfer. On comprend son masque, suite au viol et à l’assassinat d’une femme devant ses voisins qui n’ont pas bronché. Il s’en suit une expertise psychiatrique, et une phrase importante : « ce n’est pas moi qui suis enfermé avec vous, c’est vous qui êtes enfermés avec moi ». Un psychiatre tente d’analyser sa personnalité complexe, lui fait subir divers tests, et note même ses rêves.

On en vient au Dr. Manhattan, (Jonathan Osterman), l’homme devenu bleu, accusé d’avoir refilé le cancer à ses compagnes et son entourage. Las, il quitte la Terre en se téléportant sur Mars. Qui n’a pas rêvé un jour de migrer, même sur une autre planète ? Donc deux d’entre eux, parmi les super-héros disparaissent en une semaine. On voit comment, dans ses propres souvenirs, cet homme est devenu bleu, après un accident dans une cabine de test radioactive, et comment ensuite, il a été considéré comme un surhomme, voire un Dieu. Viennent une suite de questions métaphysiques, de regrets. Dieu existe, le surhomme existe, il est américain, est-il pour autant force de dissuasion, surtout face aux russes ? Pourtant, la 3ème guerre mondiale reste en suspens, comme une épée de Damoclès. Au point qu’un type extermine sa famille et s’égorge ensuite, de crainte de la voir arriver.

Puis une nouvelle tentative de meurtre sur Veidt, autre héros masqué, se produit. Donc ces sur-hommes sont bel et bien menacés, mais par qui, et pourquoi ?

MAIS STOP LE SPOIL !!!

On ne lit pas Watchmen comme une BD ordinaire. Déjà, vu le pavé, ça peut intimider. Et aussi, la subtilité de l’écriture. Tout finira-t-il par s’imbriquer ? Des flashback’s, c’est ça Watchmen. Les histoires s’entrecroisent : on peut lire dans Sous le Masque, un roman dans le comics, celle des Minutemen, qui les dépeint limite comme des fachos. De par son scénario, c’est incroyablement contemporain, complètement avant-gardiste, bien plus que certaines BD que l’on peut lire aujourd’hui. Alan Moore fut le 1er auteur à présenter les super-héros avant tout comme des personnes qui ont leurs failles. Ça se lit comme une succession de couches : journal local, roman, comics, journal de Rorschach, on peut vraiment parler de roman graphique. Et cet homme à la dérive sur son radeau en pleine mer, comme dans le vieil Homme et la Mer d’Hemingway. S’ajoutent des réflexions sur la guerre, la bombe atomique, Hiroshima. Le crime et la violence sont davantage suggérés que montrés. Et l’évocation du groupe punk-rock Devo, de son look. Qui se souvient de nos jours des deux premiers albums de Devo ? C’est un comics pour initiés : sur la connerie humaine, les émeutes, la 3ème guerre mondiale, et la crainte, vieille comme le monde que c’est bientôt la fin des temps. L’enquête de départ devient une traque en milieu hostile. Riche en rebondissements, tout droit sorti de l’imaginaire foisonnant d’Alan Moore, c’est juste génial. Il est difficile de bien en parler, car on ne peut pas vraiment décrire un tel chef d’œuvre, même en utilisant des superlatifs. Est-ce qu’une bonne guerre, comme peuvent le penser certains, détruisant une grande part de l’Humanité, engendrerait une paix durable ?

Pour ma part, il y aura un avant et un après Watchmen. J’ai eu un choc très agréable avec le tome I du Sandman de Neil Gaiman, j’ai adoré Maus, ou encore Daytripper, j’ai le même sentiment aujourd’hui pour Watchmen, que j’ai fini par rendre à la médiathèque et que je me suis empressé d’acheter.

Providence

Alan Moore, (scénario), et Jacen Burrows, (illustrations)

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New York, 1919. Un journal local, le Herald, sous la houlette de son patron Mr. Posey, se remet en question. La rédaction veut du percutant pour attirer à nouveau les lecteurs et ne pas passer pour des écrivains de halls de gare.Vient l’idée d’enquêter sur des légendes urbaines et plus particulièrement sur un recueil de Robert Chambers : le Roi en Jaune, inspiré d’un autre livre à scandale, entouré de morts et de mystères : Sous le Monde de Guillot. Un des journalistes de l’équipe éditoriale, Robert Black, jeune homme instruit et romancier à ses heures, décide à ce titre de rendre visite au Dr Alvarez, dont il connaît vaguement la réputation pour avoir écrit un article au sujet du Roi en Jaune. Le médecin que Black rencontre vit seul avec sa servante et maîtresse dans un appartement réfrigéré par un système de refroidissement assez étrange. Lors de leur échange, Alvarez mentionne « Le Livre de la Sagesse des Étoiles », qui se dit « Kitab al Hikmah al Najmiyya » en Arabe, sa version originelle, dont un certain Robert Suydam possède une copie. C’est à partir de l’évocation de ce vieux tome d’alchimie et de ses théories sur le prolongement de la vie, que le journaliste va trouver l’inspecteur de police Thomas Malone, un bel homme fervent lecteur de livres occultes, qui lui indique la personne de Suydam au moment où ce dernier se recueille sur la tombe d’un cimetière. Pour la suite de son enquête, Robert Black quitte New York pour la Nouvelle Angleterre et pour Providence, son désir d’enquêter pour son futur roman étant plus fort que tout.

Mélange de rêves plus ou moins prémonitoires et d’hallucinations, Providence est une histoire captivante qui se met en place lentement, dans un contexte de prohibition avec la montée du nazisme et une nouvelle guerre qui s’annonce. C’est d’avantage un roman graphique qu’un comics ou une BD, rythmé par des pages superbement illustrées, dans lesquelles s’insèrent parallèlement la tenue d’un journal intime, des extraits et un descriptif historique du « Livre de la Sagesse des Étoiles », ou encore un bulletin paroissial. Le héros Robert Black se perd, et nous lecteur aussi, entre états conscients et inconscients, ne sachant plus discerner le vrai du faux, au point qu’il met en doute dans son recueil de pensées sa santé mentale.

En talentueux et grand érudit, Alan Moore n’hésite pas, dans cette œuvre très dense, à évoquer ses références : Edgar Allan Poe, Robert Chambers, Oscar Wilde, Bram Stoker, et bien d’autres encore en littérature, Carl Gustav Jung et Sigmund Freud en psychologie, Gustave Moreau, Jheronimus Bosh et Goya, entre autres, en peinture. Il nous propose, en fervent admirateur, une nouvelle vision de l’œuvre de Howard Phillips Lovecraft dont il s’inspire fortement. L’écriture du scénariste est toujours aussi magnifique dans ce récit fantastique, lugubre, frisant parfois le malsain.

La lecture de Providence est ardue. Les passages du carnet intime de Robert Black sont longs et il faut s’accrocher, mais on se délecte dans l’attente de la chute de ce thriller palpitant dans lequel le héros passe par des états tour à tour de rêve, de paranoïa, de folie ou de délires. C’est formidablement imaginé et délicieusement angoissant. Providence nous donne à réfléchir sur le pouvoir magique ou prémonitoire des livres, et plus particulièrement ceux de Lovecraft, l’impact qu’ils peuvent avoir sur les lecteurs ou la réalité. Dans cet ouvrage, Alan Moore réussi avec son génie, à faire se côtoyer esthétique littéraire et horreur.

The Private Eye

Brian K. Vaughan et Marcos Martin

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Un de mes coups de cœur 2017, the Private Eye, se passe dans un futur paranoïaque, où Brian K. Vaughan, le scénariste entre autre de Saga, imagine un monde déconnecté suite à l’explosion du Cloud. En effet, la vie privée de tous s’est soudainement retrouvée étalée sur la place publique, ce qui a poussé tout un chacun à se cacher derrière des masques et des avatars. Les médias sont ici omnipotents et craints par la population, car toute révélation de leur part pourrait devenir une atteinte à l’intimité. Un paparazzi qu’on appellera P.I., comme le chiffre, reçoit la visite d’une femme qui lui demande d’enquêter sur quelqu’un, et de manière très inattendue, cette personne demande à P.I. d’enquêter sur elle-même. Pourquoi ? Uniquement parce qu’elle a postulé à un travail, et qu’elle veut savoir ce que ses éventuels futurs employeurs pourraient découvrir à son sujet. Bien que réticent au départ, le paparazzi accepte la mission, mais hélas pour eux deux, le lendemain, sa cliente est retrouvée morte. Confronté à un meurtre pour lequel il est innocent, P.I. va devoir retrouver l’assassin de sa cliente s’il ne veut pas devenir connu de tous.

Même si ce comics est parfois drôle, on y voit les anciens geek’s encore accros aux jeux MMORPG ou aux tablettes numériques, il est surtout flippant et nous renvoie en miroir notre société actuelle où tout se sait, tout se dit, ne serait-ce que sur les réseaux sociaux ou dans les médias. The Private Eye est bien entendu un excellent thriller d’anticipation, très bien illustré, mais aussi une réflexion sur ce qui nous reste de notre intimité et sur le voyeurisme.

Daytripper

Fabio Moon et Gabriel Ba

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Suite à sa très belle réédition chez Urban Comics en version collector pour son 5ème anniversaire, voici Daytripper, au Jour le Jour, scénarisé et dessiné par les frères Fabio Moon et Gabriel Ba. Daytripper, ce sont des moments de vie, plus ou moins longs, mais aussi des moments où l’on meurt tôt ou tard. Un des messages de cet excellent comics serait de profiter de l’instant présent, puisqu’on ne sait jamais ce qui nous attend en allant boire un verre, ou en traversant une rue. Des thèmes intéressants sont abordés, comme l’art, avec l’écriture, la peinture, ou la photo, et chaque fois une réflexion sur l’acte de créer. Dans le même registre, il est question d’un autre thème fondamental : l’amour entre 2 êtres, la rupture, ou le coup de foudre. Daytripper, ce sont des petites scènes que nous pourrions tous avoir vécues, avec nos rapports à l’amitié, aux parents, à la famille, à l’héritage intellectuel, à la paternité, et c’est aussi un livre sur le voyage et les rencontres. Ce qui importe n’est pas vraiment de raconter une histoire, ici, celle d’un écrivain talentueux cantonné à la rubrique nécrologie du grand quotidien de Sao Paolo. Non, ce qui prime, ce sont ces instants furtifs et ce que le héros, de par ses choix, va pouvoir en faire.

Daytripper est un hymne à la vie, une œuvre poétique hautement recommandable, qui a reçu en 2011 trois prix : l’Eisner Award, l’Harvey Award, et l’Eagle Award. J’ai tout aimé de ce roman graphique, qu’il s’agisse du fond comme de sa forme et de ses graphismes.

Planetary

Warren Ellis et John Cassaday

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La lecture de Planetary, précédée d’un magnifique avant-propos du grand Alan Moore, n’est pas chose aisée au départ. En effet, le scénariste Warren Ellis nous balade de scène en scène, et il est difficile de s’y retrouver, tellement tout semble s’emmêler. On a affaire ici à des sortes d’archéologues de phénomènes paranormaux, trois pour être exact, employés par un boss appelé le quatrième Homme, un personnage mystérieux et extrêmement généreux, qui leur donne pour simple mission d’observer sans intervenir. Le début se passe en 1999 dans un désert dans lequel Elijah Snow, un homme aux pouvoirs glaçants, vit dans l’ennui depuis 10 ans. Il est vieux d’un siècle, boit comme tous les matins son café édulcoré dans un bar où il flingue la climatisation, et reçoit un jour la visite de Jakita Wagner, une employée de Planetary aux pouvoirs surhumains. Elle lui propose un job pour un million de Dollars par an, d’effacer son passé, et en retour, lui demande de partager ses souvenirs, ses pouvoirs, et son expérience pour le restant de sa vie. Snow accepte le deal alléchant, et ils se rendent tous les deux dans une agence secrète de la société, où le Batteur, une sorte de geek avant l’heure, dont le pouvoir est de parler aux machines, les attend. Pour leur première mission ils vont se rendre aux Adirondacks, où un homme a disparu dans un complexe sous-terrain depuis 1945. Étrangement, ils retrouvent cette personne, le docteur Brass, vivant bien que grièvement blessé.

Ce qui peut paraître frappant dans Planetary est cette affirmation vertigineuse : Dieu existe. Comme si, lorsqu’un un phénomène mystérieux restait inexpliqué, il s’agissait d’une volonté divine. L’œuvre nous dit par ailleurs qu’après la mort, il n’y a rien, que l’Enfer et le Paradis sont sur Terre, que rien ne change dans l’au-delà, même si les fantômes existent. Une autre idée, plus politique et plus fondée, concerne sans la nommer Margaret Thatcher, décrit ses idées réac par rapport à l’homosexualité, aux « ventres vides », au droit de vote, à ces pitoyables années 80’s d’une Angleterre profondément divisée.

Warren Ellis mêle science-fiction et fantastique avec brio dans de brèves histoires, dont le leitmotiv est la dénonciation de l’autodestruction par l’avancée technologique au service du mal et du totalitarisme. Si cette lecture peut sembler déstabilisante au début, on finit par s’y retrouver ensuite et se laisser happer par ces courts récits bourrés d’imagination et de rebondissements, et qui au final, formeront un tout cohérent. Le couple Warren Ellis au scénario et John Cassaday avec de superbes illustrations fonctionne à merveille dans les deux tomes.